Un match au stade Petrovski

Pour certains le football est l’opium du peuple. Cela ont peut-être raison mais ils éludent quelques peu l’importance qu’il a dans nos sociétés. Même si l’on peut ne pas aimer, on se doit de s’y intéresser à minima, car il nous en dit beaucoup sur nous. S’y détourner par principe, c’est se couper de certaines réalités du monde, aussi laides soit elles.

N’y voyez-vous pas dans ce rituel l’évocation d’une messe moderne ? Comme à l’église, il suffit pour un néophyte non pas de comprendre, mais de répéter les chants. Les joueurs sont vénérés tels des icônes, les supporters sont divisés puis se retrouvent pour la troisième mi-temps. Bref comme la religion, le football relie autant qu’il divise…

Il y a aussi autre chose qui nous plaît tant : le sport reproduit le schéma aristocratique en s’appuyant sur un postulat égalitariste. Avec sa logique de classement et d’excellence, il reconstitue l’ordre naturel, en même temps qu’il procure l’illusion de la méritocratie. Chacun agit selon une logique de l’honneur qui l’unit à l’autre. Le spectateur critique mais reste fidèle, il sait qu’il a besoin du joueur pour vibrer et inversement, quel intérêt de soulever des trophées si l’on n’a pas de peuple avec qui le fêter ?
Et comme à l’église, chacun procède par mimétisme, la foule s’extasie au rythme des passements de jambes, un kapo dicte le chant et les joueurs sont loués à la fin du match. Bref les stades sont des cathédrales modernes : ils pratiquent tous le même spectacle, mais dans une ambiance différente. En ce sens l’expérience du stade est intéressante, l’atmosphère est plus électrique à Nice qu’à Lorient, le football plus populaire à Lens qu’à Paris… comme si l’âme de chaque ville était un peu contenue dans une enceinte. Curieux n’est-ce pas ? Voyons donc voir ce que nous montre le stade Petrovski sur la ville de Saint-Pétersbourg. Je m’y suis rendus dans le cadre du match Zénith Saint-Pétersbourg – Lyon le 20 octobre dernier.

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Vue aérienne du stade Petrovski. Un nouveau stade doit être inaugurer pour la coupe du monde 2018.

Le football à l’Est souffre d’une mauvaise image, entre racisme et violence, il n’est pas vraiment recommandé de se rendre aux matchs. Alors qu’en France, les stades sont peu à peu nettoyés de leurs bases populaires, je me disais que la réputation était volontairement exagérée. Après tout, les instances pourraient pousser à la diabolisation pour faire pression sur la fédération russe.

Premier constat lors de notre arrivée, nous bénéficions bien d’une sécurité format ligue des champions : des centaines de policiers veillent au grain dès la sortie du métro. Cette police montre une volonté d’empêcher les débordements, et ce à 3 ans de la coupe du monde en Russie. Bien que des bouteilles de bières étaient distillés ici ou là, aucune mauvaise ambiance à signaler, pas vraiment de groupes supposés « skinheads » à l’entrée du stade non plus. Ce dernier est d’ailleurs idéalement placé, excentré de la ville il forme une petite île relié par des ponts. Symboliquement il rappel le rôle maritime de la ville.

Aucune consigne de sécurité ne nous a été prescrite par les policiers. Ils semblaient d’ailleurs plus intéressés par le match. Lorsque nous demandions de l’aide pour composter nos billets, un but survint au et ces derniers nous narguer sans vraiment nous aiguiller…

Après une valse entre les différents guichets (décidément la mauvaise organisation s’applique aussi dans les stades), nous pénétrons finalement dans l’enceinte Petrovski, et c’est un peu la déception de prime abord. Il ne fait que 22 000 places … pour une ville de 5 millions d’habitants c’est très peu. A titre de comparaison, le stade Louis 2 à une capacité de 19 000 sièges alors que Monaco est une ville de 30 000 habitants. On ne s’étonnera pas alors qu’il soit plein, même si le prix des places est assez prohibitif ( minimum 30€).

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Vue du stade. En face les ultras chantaient en cœur.

Nous faisons face à la tribune ultras, la couleur du club est le bleu azur. Passés les émotions des premières minutes, me reviennent à la mémoire les paroles d’un russe : pour lui depuis que Gazprom a racheté le club, il y a une volonté de « lisser » l’image pour la conformer aux standards Européens. Le club presque centenaire soutenue par des métallurgistes s’éclipse au profit d’une machine à gagner, vitrine d’une entreprise gourmande. Même phénomène qu’avec le Paris Saint-Germain ? Club vidé de sa substance par un double effet de levier avec, d’une part le nivellement des prix vers le haut, et d’autre part la dissolution des groupes de supporters vers le bas. Pas tout à fait, car au moins il reste des supporters organisés chantant et animant le stade. Pas de fumigènes ni de saluts nazis, des trompettes, des drapeaux et des tambours qui nous rappellent que le football est une fête familiale.

Finalement l’ambiance restera enfantine et ne décollera vraiment jamais. Seul l’égalisation des Lyonnais apporte un peu d’action. Les russes maudissaient alors les Français, à coup de « Ukraine, Mistral, Napoléon » heureusement pour nous, 2 joueurs du Zenith marqueront coup sur coup, scellant ainsi la victoire. Mon voisin Moscovite me réconforta alors : « il faisait trop froid pour vous, encore une fois. » Décidément, certains ont le culte du souvenir tenace.

Lorsque l’arbitre siffle la fin, nous sortons avec la satisfaction d’avoir vu un assez bon match de football. En ce qui concerne l’ambiance générale nous sommes plus mitigée : si nous n’avons pas vu de violences, l’ambiance ne nous a pas transporté comme espérer. Faute à la taille du stade ? Aux supporters trop assis et pas assez investis ? Aux prix des places ? Au contexte de ligue des champions qui imposent des normes réglementaire ? Au répertoire musical trop étroit? Je m’attendais à plus d’engagements, je n’y ai vu qu’une kermesse mouvementée d’un samedi après-midi…

Finalement le russe est bien un ours tranquille.  Il se lève lorsqu’il est menacé puis, ayant vaincu l’agresseur, se rassoit pour contempler son beau pays.

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Vue panoramique à la fin du match

Après ce match, je ne peux que reprocher à ce monde de tout standardiser, et aux gens de tout accepter. Cette partie, j’aurai presque pus la voir au parc des princes. Les stades se ressemblent de plus en plus, les grandes villes aussi, et ainsi va la marche du monde. J’impute cette responsabilité aux multinationales, pour qui le football n’est qu’un placement produit. Aujourd’hui, il n’est plus question de compter sur des clubs ouvriers, avec des actionnaires historiques et enracinés.

Reste à aller voir le hockey, sport le plus populaire et typiquement russe. Peut être y trouverais-je la satisfaction du dépaysement. Sinon quoi, il faudra se résilier à conclure sur cette ville.

Le Néo-Primitivisme (1907 – 1912)

Cet article fait écho à une exposition du Grimaldi Forum à Monaco. S’intitulant de Chagall à Malevitch, la révolution des avant-gardes, elle synthétise le travail d’artistes russes au début du XXème siècle. Elle regroupe ainsi plusieurs tendances d’un large courant appelé « avant-garde russe »: à la fois cubisme, rayonnisme, cubofuturisme, constructivisme, suprématisme, école de matiouchine etc… Je m’attacherai à présenter le mouvement du néo-primitivisme Russe (ou simplement primitivisme)

I- Origine du primitivisme

Au tournant du XXème siècle, l’essor des routes, du chemin de fer, des fourneaux entraînent une recomposition des paysages, questionnant ainsi notre rapport au monde et à sa représentation. Si d’un côté l’industrialisation semble irrésistible en Europe,  la société russe bafouille : alors qu’elle connaît plusieurs foyers insurrectionnels (1905), l’aristocratie peine à convaincre par ces réformes agraires.

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Le transsibérien, mise en service à la fin du XIXème siècle, est une voie ferré permettant de relier les territoires russes entre eux.

Impossible donc de ne pas y voir la nuée de l’Ouest qui portent des bouleversements à venir en Russie. Les artistes ne s’y trompent, issus de formations classiques, ils tissent de nombreux contacts avec les écoles occidentales. Admiratifs de leurs réflexions conceptuelles, leur objectif est ambitieux : hisser l’Art Russe en synthétisant l’excellence Européenne et le génie slave.

En ce sens, la révolution artistique des avant-gardes (1910-1930) préfigure celle de 1917. C’est-à-dire qu’elle reprend un corpus idéologique occidental (Marxisme) pour l’adapter aux spécificités russes (base paysanne et état centralisateur). Si les avant-gardistes (1890-1930) voyagent à Paris, c’est pour assimiler ces nouveaux codes dans leurs représentations : cubisme-fauvisme-expressionisme-futurisme. On dira alors que Moscou est un centre tardif où convergent les avant-gardes Européennes.

Mais plus que d’un simple copier-coller,  le néo-primitivisme s’est singularisé au point d’égaler son grand frère : comment expliquer cela?

Tout simplement parce que la Russie a la légitimité de la terre. L’état arriéré du pays est une aubaine ! Si les européens (à l’instar de Gauguin) doivent s’évader vers les colonies pour se retrouver dans un art primitif, la pauvreté de la Russie  permet de  découvrir des « sauvages » aisément. Contraste d’autant plus marqué que la dichotomie modernité / ruralité est accentuée dans un des pays les plus inégalitaire au monde.

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Paul Gauguin, d’où venons nous? Une œuvre référence pour le primitivisme. Il s’agit ici de vanter la vertu des sociétés organiques. Considérées comme des communautés de « l’être », elles résistent à la laideur d’une société industrielle en devenir.

II- Historique :

En Russie, le mouvement néo-primitiviste accouche en deux temps:

– En 1910, des artistes se retrouvent dans le groupe Valet du Carreau. Ce courant a pour but de réinterpréter les œuvres de Cézanne. De nombreux artistes Européens sont alors invités (Picasso, Braque etc.) mais certains peintres y voient une simple copie d’œuvres existantes. La Russie serait-elle condamnée à suivre les tendances?
Ainsi les peintres Michel Larionov et Nathalie Gontcharova  quittent le groupe car ils refusent l’académisme, le manque de créativité et leur élitisme. Pour eux le groupe Valet du Carreau sont des artistes dégénérés qui ont coupé leur rapport avec la Russie profonde pour s’enfermer dans des cabinets.

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Impression Soleil Levant de Monet. En France, l’Impressionnisme avait consumé le divorce entre un académisme vantant la représentation et une nouvelle génération plus attachée aux sentiments

– En 1911, soit seulement un an après la première exposition du groupe Valet du Carreau, considéré comme « les laquais de Paris », quelques artistes font  sécession et se regroupent autour du groupe « queue d’âne ». Plus que d’une rupture radicale avec l’Europe, c’est aussi une volonté de retrouver l’Art picturale Orientale (Asie, Byzance), iconiques et qui a de l’appétence pour les couleurs vives, la terre et les rêves. Un beau défi donc pour ces « Orientophiles » qui vont enfin singulariser leurs Art.

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Iouboks de Bbaba Yaga. Symbole de ce retour aux sources, tant d’un point de vue formel que conceptuel, on y réintroduit les Iouboks. Les Iouboks ce sont de petites gravures en bois où sont représentées des figures coloriées à la main. Quand on connaît l’attrait pour les croyances populaires, on comprend comment elles ont pu être si importantes auprès des basses couches de la population. En plus de l’aspect esthétique elles avaient un rôle chamanique.

III- Spécificités :

Les thèmes des « néoprimitivistes » sont triviales, ils peignent les soldats, les paysans, les enfants au travers de scène quotidienne, la modernité et l’excellence esthétique sont bannies des œuvres. Le but est alors de refaire sortir l’art dans la rue, loin de la froideur académique que prend le « valet du carreau ».

Une autre différence se situe au niveau des couleurs, elles sont plus vives et les motifs plus simples. Il y a ainsi une plus grande place qui est accordée à l’expressivité. Ces nouveaux motifs revêtent d’un plus grand exotisme propice aux rêves. Ils y évoquent une certaine pureté rurale, considérée comme une « vertu » du peuple Russe.

Pour s’en convaincre, analysons quelques œuvres ci-dessous :

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Malévitch – Litographie – Automne 14.Cette litographie donne de l’importance aux formes exacerbées , les couleurs sont vives et le message iconique : les pommes de terres sont semblables aux hommes car ils pérennisent la vie. Il existe donc un rapport fusionnel, le paysan n’est pas déconnecté de la nature, il en fait partit.

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Goncharova – mariage – 1910. cette peinture représente la vitalité du mariage, mariage non pas institutionnel mais mariage avec la nature. On y voit des animaux communiant avec les hommes. Ils tendent vers l’arbre sacré, c’est à dire vers la vie. Ici on vante le respect d’un équilibre naturel, celui du cosmos.

Ne trouvez-vous donc pas qu’on s’éloigne de nos canons esthétiques européens? On est ici plus dans la sensibilité que la technicité, la nature est personnifiée. Quelque part on peut se dire que cet art préfigure l’abstraction, elle donne plus d’importance au message qu’à la représentation… D’un autre côté cet art est profondément matérialiste car il est attaché aux traditions, à une esthétique qui rapproche l’homme du monde.

Ce mouvement néo-primitiviste demeurera éphémère (1907-1912). Comme les autres avant-gardistes, il va se faire broyer par l’esthétisme de l’Art Socialiste Réaliste (1930).

Il en restera le reflet de ce questionnement incessant qui tourmente les élites Russes : faut-il se servir de notre génie national ou de l’aboutissement européen pour réaliser notre destin ?


Quelques liens complémentaires sur le sujet :

http://www.grimaldiforum.com/uploads/files/Presse/Art%20et%20Culture/communiqu%C3%A9%20de%20presse%20N1%20et%20visuels.pdf

http://art-histoire-litterature.over-blog.com/2015/03/avant-garde-russe-1907-1922-1ere-partie-le-neo-primitivisme.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Queue_d%27%C3%82ne_(groupe_d%27artistes)

http://www.rivagedeboheme.fr/pages/arts/peinture-19e-siecle/le-primitivisme.html

http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee/browse/12/page/5/article/lart-russe-dans-la-seconde-moitie-du-xixe-siecle-en-quete-didentite-4234.html?S=1&tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=f734ab18b4

Un séjour près du lac Ladoga

Durant ce semestre j’intériorise une constante du caractère slave : la pugnacité. Peu importe la pénibilité, l’incertitude que portent les fruits de nos actes, pourvu que l’on soit ferme dans l’intention de vaincre. La victoire contre le nazisme justifiait bien l’emploi de millions d’hommes. Autre exemple Soviétique : montrer que votre régime a pu tutoyer les étoiles et tout vous sera pardonné.
De mon côté, je voulais seulement aller en province pour m’y mettre « au vert ». Les grandes avenues du centre-ville sont redondantes : elles ne m’offrent plus de surprises, et les parcs sont décevants. En effet les russes n’ont pas une grande tradition des jardins comme les anglais ou italiens. Enfin je voulais goûter à un aspect plus typique en côtoyant la ruralité, même si c’est un pays difficile d’accès pour les non-russophones. Il aurait donc été inopportun que je refuse une proposition d’évasion, fusse telle la vieille pour le lendemain, et par un ami que je connaissais seulement depuis quelques jours. Allons-y et puis qui vivra verra. Ici donc le récit d’un (trop) court week-end dans une datcha au bord du Ladoga.

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Avec une superficie 17 700 km² il est le plus grand lac d’Europe et le 15éme mondial. On dénombre plus de 660 îles dont la plus connue abrite le fameux monastère de Valaam.

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J’ai rencontré Nick il y a quelques semaines dans un bar. Être français ici interpelle. Malgré les querelles diplomatiques, les soirées se prolongent attablés avec des amis éphémères : des fois on refait le monde, on charrie la culture du voisin… mais nous échangeons toujours librement.
Dans ces conversations, j’ai remarqué que les jeunes sont soucieux de polir l’image de la Russie. Ils souhaitent que je dissocie une realpolitik exigeante envers « l’Occident » d’une part, et un intérêt réel pour la culture Européenne d’autre part. C’est un équilibre intéressant car cette ouverture d’esprit se couple avec un réel attachement à leur pays. La plupart ne souhaitent d’ailleurs pas le quitter.

Ce fameux Nick a donc invité deux collègues français et moi-même à son anniversaire dans une datcha au bord du Ladoga. Le lac est situé à 1h30 de Saint-Pétersbourg, il est le plus grand d’Europe. Nous y accédons grâce à un train de banlieue (beaucoup plus propre que nos RER français). Dans le train c’est un peu la foire car de nombreux vendeurs à la sauvette défilent dans les cabines,  ils proposent gâteaux et autres accessoires. A l’extérieur les paysages sont déstructurés : il y a une alternance entre maisons et usines. Je remarque très peu d’immeubles bien que la ville soit très éparpillée, à défaut d’être dense. Je pensais qu’au bout de plusieurs minutes la nature reprendrait définitivement ces droits mais il n’en n’est rien, de nombreux petits hameaux persistent ici et là le long de la ligne de train. Rien de comparable tout de même avec le monstre tentaculaire de la métropole Parisienne. Définitivement, Saint-Pétersbourg n’est pas une « ville monde » taillée pour le XXIe siècle.

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Calme et repos dans la campagne russe

Lorsque nous descendons du train nous nous trouvons sur un quai désert d’un village non éclairé, je ne perçois pas tout de suite que le lac est à quelques mètres. Au loin quelques lumières en mouvement brisent l’obscurité : c’est notre convoi de 4×4 qui arrive ! S’ils sont férus de grosses voitures, je trouve les sentiers empruntés assez bien conservés. On y décerne un tracé au moins, contrairement à certains coins reclus en Corse. Nous nous installons donc et nous revoilà parti pour 20 minutes de voiture. Nous entretenons une conversation avec notre chauffeuse : un professeur d’anglais comme il y en a beaucoup ici. Nous franchissons ensuite deux postes avec agents de contrôle et grilles ! Effectivement la datcha se trouvait dans une zone militaire : les russes ont le don pour s’approprier des espaces abandonnés et laisser passer des étrangers qui n’avaient rien à faire là…

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Sur ce quai de village le train de banlieue vide attend désespérément de trouver une utilité.

Nous voilà enfin au chevet de la résidence sous les applaudissements. Nos affaires déposées, notre vin offert à l’hôte, et nous voilà déjà aux affaires : « nasdrovia », c’est la tradition ici. S’en suivent alors quelques shots de vodka goulûment ingurgités (la taille d’un shot ici équivaut à 2 en France). Nous en ferons de même à l’arrivé de chaque nouvel invité, heureusement que nous étions presque les derniers…

Une fois intégrée nous sommes conviés à nous attabler, s’en suit alors un repas où nous goutterons plusieurs spécialités asiatiques : Coréenne et Tatars. Cette cuisine se compose essentiellement de riz et de bœuf. Mention spéciale aux pains circulaires remplis de céréales qui étaient très bons. C’est une cuisine saine qui nourrit les corps et éponge l’alcool. Les épices étaient peu utilisées, beaucoup d’importances sont données aux plantes aromatiques.

Pendant ce repas nous avons également pus apprendre comment fonctionner un service à la  « Russe ». En effet traditionnellement on distingue plusieurs types de services :
– Service français : le repas est un buffet où chacun peut se servir.
– Service russe : avant d’être posé sur la table, le plat est présenté et goûté par un serveur. Ensuite le serveur garnit l’assiette des invités puis  chacun se ressert individuellement. Je ne sais pas si nous avions eus l’honneur des invités, en tout cas il était très agréable d’avoir la présentation de chaque plat. Le fait d’être servi permettait de savoir si nous prenions des portions adéquates.

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L’accompagnement du barbecue le lendemain. Les concombres, le choux et les carottes sont très populaires ici. On retrouve également de nombreuses baies qui n’existent pas en Europe.

30 minutes plus tard, lorsque nous étions repu, nous nous sommes levés de tables pour entamer des festivités qui se prolongeront jusqu’à tard dans la nuit. Les russes ont une résistance à l’alcool bien supérieure à la nôtre.  Nous gouttions des cocktails artisanaux : mélange de vodka et de bières, bières, vin géorgien etc. Comme le grand frère du convive à la plus belle voiture, sa sono fera office de haut-parleur qui continuera de gronder jusqu’au lendemain après-midi. Moi je suis vite accablé par l’alcool et vais me coucher. J’ai remarqué que la hiérarchie est très importante ici, le grand frère est le taulier et chacun le respecte.

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Un vin chaud fait maison

Le lendemain, nous nous réveillons sous un beau soleil d’automne. Les russes n’ont pas dormis et s’affairent à l’organisation d’un barbecue. Une bière à la main, un stand de tir est improvisé. Voyant mon visage quelque peu dérouté, on tâche de me rassurer : « don’t worry, be happy my friends ».
Finalement leur beuverie continuera jusqu’à 16h. C’est une tradition chez les russes, ces longs week-ends où on ne doit pas toucher terre. Ce qui m’inquiète c’est que ces mêmes personnes vont repartir en voiture…

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Moment de partage sous un beau soleil d’octobre.

Nous décidons de rejoindre la gare à pieds vers 17h pour reprendre le train à 18h. Nous apprendrons plus tard qu’il est interdit de franchir le poste de frontières à pieds, et d’être dans cette zone lorsque nous sommes étrangers. Heureusement la présence d’un ami russe va peser lourd dans les négociations, les deux gardiens font mines de refuser la sortie avant de céder.

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Aperçu d’un petit village

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Sur le trajet il y a de nombreux avant-postes désaffectés…

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… et des maisons abandonnées

Nous longeons donc le lac Ladoga durant près d’une heure. La végétation est dense, les forêts beaucoup moins ordonnées qu’en France. Lorsque nous nous posons près d’une plage pour l’observer, il y a toujours ce sentiment de liberté : Il est tellement grand que nous ne discernons pas la rive d’en face, on se croirait à la mer. Les pêcheurs du Ladoga sont très célèbres et effectivement ils sont les seuls personnes que nous voyons sur le chemin. A la limite réserve de pêcheur d’accord, mais réserve militaire…
J’ai remarqué que les bords des routes étaient plutôt sales. S’ils aiment plus que tout la nature, les russes n’ont pas de conscience écologique : elle est plus sale que leur ville ! Je me dis alors que les réservistes feraient mieux de ramasser les déchets non ?

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Panorama sur le Ladoga

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La nature sauvage et désordonnée

Finalement nous attrapons le dernier train, cette fois il sera bien bondé comme un RER parisien. Le dimanche se fait sentir et la dure semaine de labeur qui se prépare aussi : il n’y a presque que des personnes âgées avec des bouquets de fleurs à la main. Vont-ils les vendre en ville? ou simple plaisir hédoniste de la vie? Je regrette de n’avoir pas pris de photos tant les couleurs étaient belles. Il fallait les voir ces vieux couples avec leurs bouquets. Un régal de voir des individus se réapproprier des fleurs.

Me voilà arrivé à Saint-Pétersbourg. Ce week-end était très instructif bien que trop court, il m’a donné envie d’approfondir mon exploration du lac, c’est sûr que j’y retournerai… mais pas en zone militaire !

Berezina, l’âme russe selon Sylvain Tesson

Ici je vous propose une présentation de « l’âme russe » tel que Sylvain Tesson la caractérise dans son livre Bérézina. Un livre passionnant, tant par sa trame Historique que par sa critique acerbe de notre société.

Un livre de Sylvain Tesson, c’est comme une percée de lumière éclairant nos quotidiens millimétrés : des grandes aventures au service d’une quête insatiable d’être. Je l’ai découvert avec son essai Dans les forêts de Sibérie (2011). Insatisfait du monde moderne, lassé de ces innombrables marches, il s’en allait cette fois rechercher la solitude, l’espace et le silence au bord du Lac Baïkal. Passant 6 mois au chevet de la plus grande réserve d’eau douce au monde, cet ermite allait nous faire les confessions d’un enfant mal dans son siècle. A la manière des rêveries d’un promeneur solitaire de Rousseau, Sylvain Tesson nous décrit son quotidien ponctué de lecture, d’écriture, d’alcool et de contemplation de ce « chant du monde ». Avec son introspection ; il nous montrait la difficulté des hommes à s’entendre, à s’approprier l’espace et le temps.

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« La nuit, je trouve la paix dans les bois. A l’aube, je tire la vie du lac. Le secret du bonheur : une canne à pêche pour n’avoir pas faim, deux chiens pour n’être pas seul. »

Slavophile convaincu, Il a publié un court récit de voyage : Berezina (2014) qui raconte son périple en sidecar à travers l’Europe. Partant de Moscou pour relier Paris en deux semaines (du 3 au 15 décembre 2012), il a suivi les grandes étapes de la retraite Napoléonienne durant la campagne de Russie (1812):
– Le 14 septembre 1812 à Moscou avec l’arrivée de la grande armée dans une ville déserte et en flamme
– Le 15 novembre 1812 avec la bataille de Krasnoï qui voit l’armée française échapper de peu à l’anéantissement
– Le 26 novembre avec la bataille de la Berezina, une nouvelle victoire militaire Française acquise au prix d’efforts sur-humain
– Le refus de défendre Vilnius, et ce à cause d’une épidémie de typhus et de dysenterie qui ravagea l’armée

Réalisée dans le cadre du bicentenaire de la campagne de Russie, il ne faut pas limiter cette excursion à un devoir de mémoire. C’est avant tout un voyage spirituel, en se réappropriant des hauts lieux de notre Histoire, il souhaite comprendre les raisons profondes qui ont poussé au carnage. Deux concepts semblent émerger : l’Honneur et le Courage. Ils justifient et expliquent tout, même l’impensable dans notre XXIe siècle naïf et aseptisé. Sylvain Tesson se fait l’écho de ce décalage à la p103-104 :

« L’honneur et le courage ! Comme ils résonnaient étrangement, ces mots, deux cents années plus tard. Etaient-ils encore en vie, ces mots, dans le monde que nous traversions pleins phares ? Nous fîmes une courte halte sur le bas-côté, il neigeait, la nuit semblait en larmes dans le faisceau des phares. Dieu, me disais-je, en pissant de noir, nous autres, pauvres garçons du XXIe siècle, ne sommes-nous pas des nains ? Alanguis dans la mangrove du confort, pouvions-nous comprendre ces spectres de 1812 ?
Pouvions-nous vibrer des mêmes élans, accepter les mêmes sacrifices ? Les comprendre seulement ? Les Trente Glorieuses avaient servi à cela : nous aménager des paradis familiers, des bonheurs domestiques, des jouissances privées. Nous permettre d’avoir beaucoup à perdre. »

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La retraite de Moscou de Napoléon – Adolph Northen

On doit ajouter une démarche symbolique à cet itinéraire, pour comprendre cette abnégation il faut aussi endurer les souffrances infligées par le général « hiver ». Sylvain Tesson veut donc une fois de plus sortir du monde, ou plutôt sortir de notre époque pour se rapprocher des anciens, de l’autre. L’autre n’étant perceptible que dans sa totalité, c’est-à-dire à minima dans sa dimension charnelle, il se fait un devoir de fidélité.

Son périple, c’est aussi l’occasion de se plonger dans sa vision de « l’âme russe ». Ce qui frappe dans sa description, au-delà du récit tragique de la campagne de Russie, c’est la dichotomie entre Est et Ouest. Dans un monde qui s’uniformise, la Russie et les Républiques sœurs semblent conserver des valeurs transcendantales, c’est-à-dire des comportements n’obéissant pas à la simple raison. Ce caractère est assimilable à l’Homme traditionnel du XIXème siècle. Et c’est peut-être ce tempérament qui explique les traits quelques peu semblables entre Napoléon et les contemporains rencontrés. Dans son récit, il nous livre des indices qui expliquent cette persistance de la spécificité slave :

  • D’abord il note le contexte Historico-Politique. De l’héritage Soviétique, les russes ont conservé les automatismes du système D. Les privations ont touché la majorité du peuple, l’obligeant à la prévoyance et ascétisme. Et quoi de mieux pour lutter contre la folie des grandeurs que d’adopter un rythme de vie modeste ? Ne rien attendre des autres si ce n’est ce que l’on ne peut produire nous même ? Et surtout s’en satisfaire… En somme, il nous décrit le charme de la simplicité, comme si elle rimait avec authenticité. Par extension, l’évocation de la vertu n’est jamais très loin, car ici le marché n’a pas conquis certains segments sacrés de la vie. Au détour d’un hôtel pittoresque il se fait acerbe quand à nos « standing » … car chez nous, remplacés par des bornes automatiques, des hommes il n’en n’est même plus question.

P85 «  A Smolentsk, nous descendîmes dans l’ancien hôtel des apparatchiks soviétiques, le Dniepr, resté dans son jus. Gardiennes d’étage peroxydées, décoration brejnévienne, lustre des années 1970, tuyauterie issue de l’industrie thermique : nous aimions ces atmosphères de guerre froide. J’avais 40 ans et j’étais nostalgique d’un monde que je n’avais pas connu. Je préférais ces ambiances à celles des hôtels standardisés dont le capitalisme à visage inhumain avait couvert nos centres villes ; ces établissements conçus par des commerciaux qui jugeaient qu’une connexion wi-fi et un climatiseur fixé au-dessus d’une fenêtre verrouillée valaient mieux que la conversation d’une babouchka et qu’une fenêtre ouverte sur un fleuve gelé »

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La borne automatique, syndrome d’une société où la boulimie consumériste tue le lien social. Si les gens sont malheureux, est-ce parce qu’ils ne peuvent pas acheter quand/où ils veulent ? Ou est-ce parce que plus personne ne daigne leur faire un sourire ?

  • Enfin la spiritualité est une autre spécificité : celle d’un peuple qui accepte la souffrance, non comme situation définitive, mais étape préalable à la délivrance. Rappelant l’épisode de la passion du Christ, les russes doivent porter leurs croix pour prétendre jouir de la vie. Le bonheur devient alors un horizon noyé dans les larmes, inversement à la pensée Latine, relativiste et négligeant la notion d’effort:

P92-93 : « Est-ce parce que l’Histoire s’était déchainée sur eux avec la hargne de la houle sur un récif tropical qu’ils avaient développé une vision tragique de la vie, un goût pour la formulation permanente du malheur, une capacité à proclamer sans cesse l’inconvénient d’être né ?
Nous autres, latins, nourris de stoïcisme, abreuvés par Montaigne, inspirés par Proust, nous tentions de jouir de ce qui nous advenait, de saisir le bonheur partout où il chatoyait, de le reconnaitre quand il surgissait, de la nommer quand l’occasion s’en présentait. Dès que le vent se levait, en somme, nous tentions de vivre. Les russes, eux, étaient convaincus qu’il fallait avoir préalablement souffert pour apprécier les choses. Le bonheur n’était qu’un interlude dans le jeu tragique de l’existence. Ce que me confiait un mineur du Donbass, dans l’ascenseur qui nous remontait d’un filon de charbon, constituait une parfaite formulation de la « difficulté d’être » chez les Slaves : « Que sais-tu du soleil si tu n’as pas été à la mine ? »
Milan Kundera avait souvent déploré l’absence de rationalité dans la pensée russe. Il répugnait à ce penchant des compatriotes de Dostoievski à toujours sentimentaliser les choses, à éclabousser la vie de pathos alors même qu’ils se rendaient coupables d’exactions. Et si c’était là la clé du mystère russe ? Une capacité à laisser partout des ruines, puis à les arroser par des torrents de larmes »

  • Enfin cette rupture est aussi géographique, car certaines ex-républiques Soviétiques ont singé les pratiques de l’Ouest. Elles ont cédé à la logique purement marchande, flattant l’extériorité au point d’influer sur la nature, elle même réduite à n’être qu’un « facteur » à organiser, normaliser. Dans un monde où tout doit être « marketer », le contenu (l’intérieur) doit s’effacer au profit du contenant (extérieur).

P165 : « La frontière entre la Pologne et l’Allemagne était matérialisée par le changement du paysage. Les opulents hameaux allemands contrastaient avec les villages Polonais jetés sur la plaine à renfort de parpaings. Même la forêt teutonne semblait pousser plus droit que de l’autre côté. »

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Évolution du nombre d’hommes durant la campagne de Russie. La largeur du trait sert à déterminer la diminution des effectifs de l’armée Napoléonienne. En beige l’aller, en noir le retour …

A la lumière de cette analyse , aujourd’hui « l’âme russe » semble donc être une posture, elle indique plutôt un rejet de l’hyper modernité capitaliste. Elle n’est nationale que dans la mesure où elle porte les stigmates de l’héritage soviétique. Elle se retrouve dans les personnes défiant ce monde, ce n’est donc pas pour rien qu’elle parle au cœur de Sylvain Tesson…

P26 : « Il avait eu envie d’aventure, de réel. Il préférait négocier avec des businessmen à têtes de brutes plutôt qu’avec des barracudas d’HEC qui n’avaient jamais l’idée de lui proposer une cuite au sauna après la négociation du contrat. Jacques se sentait plus proche d’un pêcheur du lac Lagoda que d’un type lui déroulant un prévisionnel. Et justement, en France, chacun lui paraissait préoccupé de son propre bilan »

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Photo du lac Ladoga, il en sera justement question dans le prochain article.

La banlieue russe

La banlieue soviétique, c’est un projet de société à elle toute seule. Mélange d’austérité suicidaire et de générosité couleur béton, ces grands ensembles devaient faire émerger l’Homme nouveau. Bannies des champs, les populations étaient jetées dans les usines afin de participer à l’industrialisation. Au XXème siècle de nombreux pays ont accompli cette infatigable marche de l’exode rural.
Pas si étonnant donc que ces blocs soient aussi nonchalants, comment se satisfaire d’une situation que l’on subit brutalement ? A la manière du Corbusier en France, cette volonté d’Humanisme, de créer un vivre-ensemble ne cache pas un projet totalitaire. Car le temps a ridiculisé les idéologies du XXème siècle, ces expérimentations ont mené à la faillite : Cité radieuse, banlieue d’Échirolles, le quartier Planoise… mais alors que pensez du cas Russe ? D’un peuple qui est attaché plus que tout à sa terre, au point qu’une amie me disait qu’il y avait deux catégories de personnes: ceux qui avaient une datcha (1), et ceux qui rêvaient d’en avoir une. La banlieue Russe serait donc invivable ?

Tchernobyl


La banlieue désaffectée de Tchernobyl. Il existe de nombreuses villes abandonnées en Russie : contrainte naturelle, ancien complexe militaire, défunt centre minier… chaque désertion montre l’incapacité à faire perdurer une société. Comme si les nouvelles villes Russes étaient des poussières d’insignifiance recouvrant une terre déjà regrettée. (1)

D’abord lorsqu’on sort du métro, on pourrait presque se tromper de sortie puis marcher quelques minutes, et ce, sans s’en rendre compte. Cette uniformité des bâtiments est frappante, elle déboussole. Pourtant, elle n’est pas la seule caractéristique des banlieues Russe. Je tâcherai d’en expliciter trois qui m’ont frappé:

– Les bâtiments et les avenues sont larges. Je ne sais comment justifier de tels précautions, primauté de l’hygiène? Volonté de prédire les insurrections ? Profiter des faibles contraintes géographiques pour jouir de l’espace? Coller à une esthétique gigantesque? Si je peux citer Céline, ces bâtiments sont remarquables :

«  Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. »

Céline travaille sur l’ambivalence horizontalité / verticalité pour décrire New-York. Ici, nous sommes dans une dominante horizontale. Les bâtiments ressemblent à des rectangles posés dans le sens de la longueur. Alors que le Capitalisme prophétise le rapprochement vers le ciel, à l’image des tours en verre, le Soviétisme égalise les conditions et nie les hiérarchies.
Autre singularité, les Communistes ont bien fait table rase du passé : il n’y a plus de vestiges des villages d’antan. En ce sens l’analogie avec le vieux continent n’est pas non plus adéquate. En Europe il reste toujours un clocher fébrile, vaillant résistant au milieu des tours, pour nous rappeler l’identité de notre civilisation millénaire. Bref, la banlieue Soviétique c’est une synthèse entre l’horizontalité Européenne et la nouveauté Américaine.

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Vu de mon dortoir, derrière l’avenue principale. On y voit un regroupement d’immeubles encerclant un terrain de foot. Le sport a une place très importante : les hommes ont à cœur de perpétuer les exercices enseignés durant le service militaire, les femmes sont aussi désireuses de se démarquer dans une société où elles sont sur représentées. Il y a également de nombreuses salles de musculations, elles permettent de s’entretenir au chaud durant l’Hiver.

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Par certains endroits l’état des routes laisse à désirer. L’absence d’éclairage est aussi à signaler. Malgré tout, le réconfort que nous offre le plafond d’étoiles est un spectacle dont on ne se lasse jamais.

– Dans les banlieues Françaises chaque mètre carré a été rationalisé, donnant lieu à des parcs, des installations urbaines etc. Le Russe, lui, cultive le gout pour les terrains vagues. Ainsi entre les bâtiments, il existe des zones en friche, une sorte de « no man’s land » où chacun exprime sa créativité : pneus dégonflés, pièces détachées de Lada, fleurs plantées ici ou là  sont autant de tentatives pour domestiquer le terrain… Dans cet volonté d’abandon politique, j’y vois une sorte de pari idéologique : pour rendre la ville attractive, il fallait enlaidir la nature au point de la rendre nonchalante. Le pari est raté, je trouve qu’elle raisonne comme un espace de liberté : qui de l’arbre, se tenant tranquille et admettant son sort, ou de moi, enfermé dans un bloc de ciment, est le plus à plaindre ?

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Une petite promenade près de mon dortoir. L’administration a jugé bon d’y tracer un petit sentier, pour le reste les habitants improvisent. Ces zones en friches sont bucoliques. Le week-end on y côtoient des gens qui organisent des barbecues, des couples qui promènent leurs enfants. Bref la banlieue russe c’est le règne de la famille, on est loin de son homologue française où des mères divorcées éduquent leurs nombreux enfants.

– Enfin je note ici ou là des curiosités locales : Lada, magasins de fleurs à profusion, mais aussi des aspects relatifs aux pays moins développés : chiens errants, fenêtres brisées, marché à la sauvette etc… autant de détails qui montrent le subtil équilibre de la vie en banlieue : un État qui tente de reprendre le pas sur une économie informelle adoucissant la précarité.

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L’orthodoxie connait un regain de forme en Russie. Soucieuse d’affirmer sa dynamique, de nombreuses églises sont construites.

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Que les milliardaires russes défilant à Monaco ne nous trompent pas, ce qui prime ici en matière de mécanique c’est avant tout la robustesse.

Pour répondre donc à la fameuse question : la banlieue Russie serait-elle invivable ?

Non! car les infrastructures résistent au temps. Ensuite l’âge des habitants est plus élevé qu’en France, il y règne donc un sentiment de tranquillité. Enfin la solidarité organique et le système D sont encore très présent. Ce n’est donc pas un mythe : le Russe est très débrouillard, de ce fait il se plaint beaucoup moins que le Français moyen, mais ça c’est une autre histoire…

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Le russe est un grand romantique, il aime cultiver ses fleurs entourées de pneus …

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… mais c’est aussi un enfant au grand cœur qui vous surprendra par sa gaieté !


(1) Datcha : Résidence secondaire à la campagne qui permet de prendre l’air

(2) Pour en découvrir plus sur la Russie des villes fantômes, je vous invite à lire ce très bel article : http://www.lecourrierderussie.com/2015/09/russie-villes-fantomes-cinq-lieux-reve-cauchemar/

L’arrivée à Saint-Pétersbourg

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L’avion décolle de Nice, derrière moi les Alpes tirent leurs révérences. Malgré un amour tardif, ils ont donné visage à l’absolu qu’on appelle « beauté ». Je me souviens de chacune de mes randonnées, une journée dans ces montagnes, et me voilà regonfler d’idéaux pour 10 ans. Un dernier regard au loin et elles me manquent déjà. Un jour promis, je reviendrai.

S’en suivent quelques heures d’escale à l’aéroport Roissy-Charles-de Gaulle, je me dispense d’aller regarder les produits « duty free » : la France n’est pas une vitrine qui se résume à quelques mètres carrés.  Mon génie français est surtout immatériel, ce qui explique notre mondialisation malheureuse. Comment faire triompher Descartes dans une société du spectacle, basée sur l’émotion ? Quelle place donner à Rousseau lorsque le faux devient le vrai ? La vue d’un avion indiquant Kiev me console en partie. Lorsque je regarde ces courageux qui embarquent, j’imagine l’appréhension de rejoindre cette capitale ensanglantée, autrefois phare de l’Est Européen.  Enfin c’est à mon tour de quitter le tarmac et tutoyer les cieux vers la Sainte Russie. Le chapitre français est clos, adieu mon pays.

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Le temps d’une dernière publicité et en route pour le « marché » Russe.

3h00 de vol me sépare de Saint-Pétersbourg, et déjà s’impose la futilité des distances, l’insignifiance de l’espace… Etant petit, la Citroën BX avalait l’asphalte pour se rendre en Bretagne, cette expédition permettait la découverte de paysages divers.  En moi se structurer le défilement inattendu d’un pays multiple. La visibilité d’un trajet entre un point A et B est primordial car il rationalise le rapport à l’espace, tolère la surprise. Il nous fait pratiquer l’échelle des cartes, la mesure du temps. Enfaite ce n’est pas les cieux que l’Homme veut transgresser, c’est la volonté d’omniscience, celle de devenir Dieu. Mais le déracinement nous coupe de toute réalité fondamentale : celle de la terre des Hommes. Dans l’avion nous sommes hors-sol donc roi sans domaine. Réflexion faite je n’aime pas l’avion, j’aurai du prendre le train. Peut-être pour le retour ?

Mais bon soit, le russe à ma droite fait preuve d’un trait d’esprit apprécié: « voici la seule chose qui va me manquer en France » dit-il en commandant un vin Bourguignon (je rectifie, la grandeur de la France n’est pas qu’immatérielle !). Les quelques mots que je baragouine en guise de réponse me mine le moral : j’ai trop de choses à leur demander, à dire, à comprendre et si peu de mots pour les exprimer, c’est si frustrant d’enfermer sa réflexion dans un champ lexical de 150 mots. Georges Orwell théorise la maîtrise du langage comme assujettissement de la pensée, m’en voilà prisonnier… J’aurai 4 mois pour améliorer mon Russe, et toute une vie pour regretter de ne pas l’avoir appris avant.

Le repas fini, un chapitre de l’axe du Loup à peine entamé que commence la descente, l’avion se fraye un chemin dans les turbulences qui nous tiennent compagnie. Parfois, les éclats de la ville percent à travers ce rideau grisâtre. Je suis déçu, car les nuages me privent du tableau de Saint-Pétersbourg, je le prends comme un défi à mon imagination qui rectifie les courbes du Golfe de Finlande. En être réduit à suggérer, terrible frustration qui me suivra un soir de plus. Finalement il me faudra attendre les dernières secondes pour y voir une photo imparfaite. Dans la nuit tombée j’ai du mal à voir la topologie de la ville, tout au plus j’y aperçois une autoroute dominant la mer Baltique. Enfin vient le moment de l’atterrissage, me voilà sur le sol Russe, dans un pays qui fait 32 fois la  France. Sans surprise, et je rassure mes amis, je n’ai pas de tombes à fleurir à mon arrivée, direction l’immigration..

La file d’attente pour passer les contrôles est assez chaotique, nous sommes séparés en deux groupes : les ressortissants d’ex république soviétiques et les autres. J’ai le temps d’observer les différentes ethnies de touristes : une équipe de lutteurs Azerbaïdjanais me précède dans la queue. Derrière moi, des Chinois qui n’ont pas saisis l’interdiction de prendre des photos sont sévèrement réprimandés. J’aperçois aussi des Kazakh. Il y a très peu d’Européens en fait, la saison touristique semble bel et bien terminée.

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Signe d’une nation mosaïque, de nombreuses personnalités reconnues sont issues de minorités ethniques. Ici on distingue Pouchkine avec ses origines maures et ses cheveux frisés. On pourrait également citer le chanteur Viktor Tsoi etc.

Même si l’aéroport n’est pas le lieu idéal pour dresser des tendances ethniques, je rencontre pour la première fois certaines nationalités. En effet la Russie est un pays multiethniques où  80% de Slaves cohabitent avec de nombreuses minorités : Tatars, Tchétchène, Caucasien. Le terme « Fédération» est pertinent car les invasions tatares, « le far East », l’URSS ont fait cohabiter des communautés différentes(1). Comme en France, j’ai noté que ces « minorités » étaient sur représentées en banlieues, peut-être est-ce une conclusion hâtive ? Ou sont-ils réellement plus pauvres que les autres ?

La douane passée et deux tadjiks m’attendent, ils sont mandatés par l’école et m’emmènent au dortoir universitaire…. décidément les ressortissants d’ex-républiques soviétiques sont partout ! Dans le bus, je fais connaissance avec les babouchkas qui occupent de nombreux métiers : vendeuses de fleurs, de champignons, poissonneuses de billet. Elles sont assurément les taulières de la nation.

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La Russie est un pays où l’écart de l’espérance de vie entre les hommes et les femmes est les plus élevé ( plus de 13 ans ). Ces vieilles dames sont très respectées, car leurs âges montrent qu’elles ont connus l’enfer du siège de Leningrad. Souvent seules et ne jouissant pas de droits sociaux, elles sont cantonnées à de nombreux petits boulots. Réalité sociale d’un pays qui ne jouit pas d’une grande flexibilité salariale, pour preuve de nombreux commerces sont également ouverts 24h sur 24 et le dimanche. (2)

20 min plus tard et nous pénétrons dans le métro, le plus profond du monde (80 m). Je me rends aussi compte qu’il sera difficile ici de frauder, deux agents guettent en permanence chaque entrée. Construit dans les années 40, les ingénieurs ont réussis un tour de force majeur : assécher un marécage pour donner vie à l’homme taupe. Pour accéder aux rames, il faut utiliser un escalator qui descend pendant plusieurs minutes. Le temps est alors suspendu et les couples en profitent pour s’enlacer. Le tempérament rustique cède alors à la tendresse, derrière chaque roc il y a un cœur d’artichaut.
La réputation des stations métros Russes n’est pas usurpée : propres, soignées, elles justifient une visite touristique. J’attends tout de même d’aller à Moscou pour rendre compte de la mesure d’un métro qu’on dit mémorable. Seul le bruit strident des rails nous rappelle la vétusté des transports.

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Photo du métro d’Avtovo. (3) 

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Plan du métro

Une heure plus tard (qui me semble plus longue que mes 3h de vol) et me voilà dans la mythique banlieue Soviétique (arrêt Rybatskoye). J’ai tellement de sentiments contradictoires à son sujet qu’elle mériterait bien un article, plus de précisions donc dans le courant de la semaine!


(1) – En plus du caractère multiethnique, la Russie est également une fédération multiconfessionnel comme le montre l’inauguration de la grande mosquée d’Europe à Moscou la semaine dernière : http://french.peopledaily.com.cn/International/n/2015/0929/c31356-8956733.html

(2) – Lien photo : http://a54.idata.over-blog.com/5/75/17/58/P1110624.JPG

(3) – Lien photo : http://www.visit-saint-petersburg.ru/attachments/Image/im-c145-w954-049_DSC_9392__12801024_1.jpg?template=generic

L’énigme Russe : autopsie d’un semestre universitaire

« Ô Russie, grande et incroyable,
Ni la raison ne peut te cerner,
Ni le mètre te mesurer
Et à la foi seule tu es perméable. »

1866
Fiodor Ivanovitch Tiouttchev, 1803-1873

A travers ces vers, c’est l’évocation d’une terre méconnue et fantasmée qui fait écho à nos préjugés. Car pour le commun des mortels, on ne se rend pas en Russie par gaieté de cœur : l’économie parallèle prolifère, l’Hiver est rude, les gens pas vraiment « friendly »(1), le contexte économique morose, les infrastructures poussiéreuses… et pour finir (ou plutôt pour commencer) on n’y est pas spécialement les bienvenus. Alors que Schengen repousse l’horizon, rendant abstrait la notion de frontière, le bureaucrate russe traite scrupuleusement votre demande de visa. Cet inquisiteur est symptomatique d’un temps que je n’ai pas connu, une réminiscence d’un XXème siècle qu’on croyait passé.

Avec cette mauvaise réputation, la Russie souffre de la comparaison avec les autres : se dorer la pilule sous le soleil Californien, boire des Guinness à Dublin, ou vivre au cœur des TIC à Séoul, en voila des activités qui honorent des destinations prisées. Elles sont tellement convoitées qu’elles ne peuvent même pas satisfaire toutes les demandes! D’ailleurs il se dit que les recalés, ceux qui n’arrivent pas à se faire une place au soleil, se rassurent en songeant à leurs confrères … punis en Russie.

Après tout, à quoi bon souffrir pour une expérience étudiante? Peut-être parce que la vie est mouvement et que l’intuition, la spontanéité doit prévaloir sur la peur. Je sais bien que croire n’est pas savoir, mais si on n’essaye pas on ne saura jamais, et le savoir ne peut se prémunir de l’expérience.
J’ai trop profiter des plages Mentonnaises. Même si  la Méditerranée mérite qu’on la contemple pour l’éternité,  le temps presse, et il faut bien se faire une raison : la belle bleue azur finit toujours par gagner.  Aussi, je me lasse des bières qui ne m’ont fait que trop lever le coude. Et puis surtout je dois lâcher mon ordinateur, fuir le monde de la vitesse, échapper au « Cocooning » : cette prison au format 16/9 qui nous fait grasse carcasse. Car pour saisir le monde réel, rien de mieux que de le palper.

Menton

C’est la proximité du le Golfe de Finlande qui a justifié la fondation de la ville. Source d’abondance pour les pêcheurs, il se peut aussi que le fleuve reprenne ses droits, comme l’atteste la mort de Pierre le Grand. Suite au sauvetage in-extremis d’un marin près du lac Ladoga, Pierre 1er contracte une fièvre qui l’emportera. Morale de l’histoire : Si l’on peut bâtir des villes joyaux, la fureur des Eléments nous réapprend la modestie.

Alors pourquoi la Russie? Avant tout, c’est un pays unique, un mélange de mystères et de ressentis contradictoires… Si je devais mettre des mots, je dirais déjà qu’on y voit un pays qui n’a pas la volonté de mentir, quitte à faire persister les mauvais préjugés. Ce constat se généralise aux pays de l’Est : ils se proposent de nous offrir une autre expérience, loin des standards actuels. A l’heure où la marche forcée vers l’uniformisation des cultures s’accélère, j’ai la naïveté de penser qu’elle m’offrira un certain dépaysement. Même si je ne prête guère d’illusion sur la vie citadine, peut être que le contact d’étudiants issus des confins de l’Orient me sera profitable.

Un bon dortoir Russe, c’est avant tout deux ingrédients: une babouchka serviable et des plantes d’intérieures ( à foison de préférences).

Un bon dortoir russe c’est avant tout deux ingrédients : une babouchka serviable et des plantes d’intérieures (à foison de préférences).

En plus du décalage culturel, je pense qu’il ne faut pas non plus négliger l’impact historico-politique. Souvent allié de la France, le contexte actuel nous en a éloigné. Il s’agit alors de faire honneur à une certaine tradition d’ententes politiques et d’échanges culturels (Alliance franco-russe de 1892-1917, influence des Lumières sous Catherine II, implantation des Russes sur la Côte d’Azur etc.) (2). Sans prétendre au rôle de géo-politologue, Jean-Pierre Chevènement a dit une phrase très intéressante « Il n’y a pas d’indépendance de la France sans une Russie forte ». Alors que ces cinquante dernières années ont été tourné vers l’Ouest, un rééquilibrage des relations à l’Est seraient peut-être souhaitable.

Les Russes n’ont décidément pas finis de célébrer la victoire de 1812. Napoléon aurait-il été autant aimer s’il avait vaincu ? Toujours est t’il qu’il est assez attendrissant de voir plus célébrer ici qu’en France.

Les Russes n’ont décidément pas finis de célébrer la victoire de 1812. Tout de même, il est attendrissant de voir Napoléon à son aise ici.

Pendant ces quatre mois, je passerai la majorité de mon temps à Saint-Pétersbourg. Métropole de 5 millions d’habitants, elle est surnommées la Venise du nord, (ou la défunte Palmyre du Nord). C’est une ville artificielle, « fenêtre sur l’Europe » née de la volonté d’un seul homme : Pierre le Grand.
Etudier dans cette ville européenne est un pari audacieux, transgresser un urbanisme familier pour y déceler des singularités comportementales.
Saint-Pétersbourg constitue un point de fixation propice à une découverte plus approfondie du pays, ce dernier étant la synthèse de trois grands identités : Europe, Asie et Arctique. Si Saint Pétersbourg n’est pas vraiment le cœur de la Russie, la Russie ne serait pas la même sans cette dernière. Je songerai donc à voyager pour ouvrir les perspectives, au programme des visites : Moscou, Novgorod, Kronstadt, et peut être même une virée plus à l’Est.

Mais rassurez-vous, il ne s’agira pas uniquement de déballer du pathos, je vais d’ailleurs m’effacer dès le prochain article pour vous présenter la ville. Je compte aussi vous présenter des oeuvres.  C’est aussi ça l’enjeu, que vous fassiez également votre propre découverte de la Russie (ne me remerciez pas…). Les Russes n’ont jamais été fins quand il s’agissait d’utiliser leur « soft-power », leur culture n’étant pas universaliste. Par ces présentations partiales, puis-je au moins tenter d’y remédier modestement. D’autant plus que ça ne vaudra jamais un déplacement.

Pour finir Jacques Brel disait «qu’un homme normal rêve de foutre le camp», alors si vous avez l’humeur vagabonde n’hésitez pas à vous abonner (3) et mettons le cap sur Saint-Pétérsbourg.


(1) Friendly = Terme anglo-saxon définissant un individu souriant et naturellement amical.

(2) http://hosting.umons.ac.be/php/centrerusse/documents/traductions/ame-russe.html

(3) Pour s’abonner, il faut cliquer sur le bouton suivre en bas à droite, puis rentrer son adresse mai.

Bienvenue !

Bienvenue sur mon blog!

Comme beaucoup d’étudiants, je dois partir étudier dans une université étrangère, et ce pour valider mon diplôme. Ces échanges répondent à trois objectifs pédagogiques : découverte de nouvelles cultures, méthodes de travail et renforcement des langues. Si l’objectif est louable, trop souvent  les étudiants étrangers sont pris en étau : incapables de s’assimiler aux autochtones, ils forment alors un groupe dit « Erasmus », sorte de « melting-pots »  où se retrouvent les étudiants internationaux.

L’expérience n’est alors plus vraiment la même, et revient un peu à se retrouver prisonnier de sa zone de confort. Non pas que ces échanges souvent festifs soient déplaisants, mais ils rationalisent une situation d’incertitude : celle de la peur de l’ostracisation, car dans ce processus compliqué qu’est l’intégration, notons que le rapport autochtone-étranger joue en défaveur de ce dernier.  Les 3 objectifs sont sans doute atteints, c’est vrai… mais une longue période dans un pays devrait permettre de s’imprégner de la culture nationale. Lorsque je vais à Rome c’est pour faire comme les Romains, pas vous ?

Un immeuble Romain dans le quartier du Testaccio. Un endroit privilégié pour découvrir la spécificité Romaine.

Un immeuble Romain dans le quartier du Testaccio. Un endroit privilégié pour découvrir les spécificités de la ville éternelle.

Avec le concept « d’étudiant Erasmus » le pays hôte(l) devient un moyen, et non plus une fin en soi. Puisque l’intégration est sans garantie de succès, on préférera se tourner vers des expériences accessibles et valorisantes socialement (soirées organisées, tour operator etc), mais déconnectées des réalités…. S’en remettre au confort du « j’ai vu » et du « j’ai fait » est symptomatique d’une société quantitative, le « j’aime » Facebook. A cela préférons un timide début de « je sais », le savoir représentant une compréhension partiale du pays qui nous entoure.

On pourrait pousser la logique plus loin, ces étudiants issus de diverses nationalités renforcent une certaine culture de la superficialité, du moins dans l’image qu’ils renvoient de leur pays  Il est tellement dur de porter sur ces épaules une culture qu’en la présentant, on n’évite pas certains écueils. Le meilleur moyen, c’est peut-être la spontanéité et l’observation, la loi du nombre jouant comme  variable d’ajustement. plus il y a de personnes issues d’une même nationalité, plus la pertinence augmente, et plus l’étude des comportements fait sens. Or la quantité d’étudiants étrangers représentants chaque pays est très faible…. Moi-même j’éprouve des difficultés à promouvoir la France, si bien que je la résume à certains clichés.  Je me rends compte que ces lieux communs participent à renforcer un certain nivellement vers le bas.
Quant au pays devenu hôtel le dépaysement n’est souvent que physique, car si les décors daignent bien se renouveler, on est incapable de comprendre les non-dits, le transcendantal… Et cela caractérise bien nos sociétés matérialistes, la préoccupation n’est pas dans les cœurs ni dans les têtes. Et pourtant chaque peuple a bien une âme spécifique.

Enfin je ferai aussi une analogie avec l’expérience Club Med,  un espèce de village clos où des gens avec des intérêts communs se retrouvent, et retranscrivent leurs modes de vies, saupoudrés de quelques excursions encadrées…  en tutoyant l’autre déraciné, on se voit dans son miroir. Les voyages ne présentent qu’un cas de conscience, celui d’avoir l’illusion de fuir un quotidien qu’on tend à reconstruire à des milliers de km, assez schizophrénique n’est-ce pas ?

C’est un peu contre ça que j’ai ouvert ce blog, pour m’obliger à regarder, comprendre et retranscrire ce que je vois, ressens. Et cette compréhension sous-entend une loyauté, un effort de dialogue que seule la multiplicité des Russes que je rencontre peut m’apporter.  Au syndrome Disney/ Club-Med de la modernité, prônons une logique du temps long, du respect des autochtones et du détachement de soi. L’effort intellectuel est important, mais nécessaire pour concrétiser cette chance qui m’ait été donné. Je ne peux présager d’un succès, tant j’ai déjà manqué à ce strict règlement… mais si je ne le fais pas pour moi, puis-je j’au moins le faire pour vous, futurs passionnés de la Russie !  D’ailleurs pourquoi ce pays? Je tacherai de vous expliquer mes choix dans le prochain article, mais jusque là, patience, je retourne manger une baguette..

Une erreur s'est glissée dans la photo, mais où est-elle? Si ce produit est en rayon c'est qu'il y a une demande. C'est aussi ça la mondialisation.

Une erreur s’est glissée dans la photo, mais où est-elle? Si ce produit est en rayon c’est qu’il y a une demande. C’est aussi ça la mondialisation : une uniformisation des comportements.