L’avion décolle de Nice, derrière moi les Alpes tirent leurs révérences. Malgré un amour tardif, ils ont donné visage à l’absolu qu’on appelle « beauté ». Je me souviens de chacune de mes randonnées, une journée dans ces montagnes, et me voilà regonfler d’idéaux pour 10 ans. Un dernier regard au loin et elles me manquent déjà. Un jour promis, je reviendrai.
S’en suivent quelques heures d’escale à l’aéroport Roissy-Charles-de Gaulle, je me dispense d’aller regarder les produits « duty free » : la France n’est pas une vitrine qui se résume à quelques mètres carrés. Mon génie français est surtout immatériel, ce qui explique notre mondialisation malheureuse. Comment faire triompher Descartes dans une société du spectacle, basée sur l’émotion ? Quelle place donner à Rousseau lorsque le faux devient le vrai ? La vue d’un avion indiquant Kiev me console en partie. Lorsque je regarde ces courageux qui embarquent, j’imagine l’appréhension de rejoindre cette capitale ensanglantée, autrefois phare de l’Est Européen. Enfin c’est à mon tour de quitter le tarmac et tutoyer les cieux vers la Sainte Russie. Le chapitre français est clos, adieu mon pays.
3h00 de vol me sépare de Saint-Pétersbourg, et déjà s’impose la futilité des distances, l’insignifiance de l’espace… Etant petit, la Citroën BX avalait l’asphalte pour se rendre en Bretagne, cette expédition permettait la découverte de paysages divers. En moi se structurer le défilement inattendu d’un pays multiple. La visibilité d’un trajet entre un point A et B est primordial car il rationalise le rapport à l’espace, tolère la surprise. Il nous fait pratiquer l’échelle des cartes, la mesure du temps. Enfaite ce n’est pas les cieux que l’Homme veut transgresser, c’est la volonté d’omniscience, celle de devenir Dieu. Mais le déracinement nous coupe de toute réalité fondamentale : celle de la terre des Hommes. Dans l’avion nous sommes hors-sol donc roi sans domaine. Réflexion faite je n’aime pas l’avion, j’aurai du prendre le train. Peut-être pour le retour ?
Mais bon soit, le russe à ma droite fait preuve d’un trait d’esprit apprécié: « voici la seule chose qui va me manquer en France » dit-il en commandant un vin Bourguignon (je rectifie, la grandeur de la France n’est pas qu’immatérielle !). Les quelques mots que je baragouine en guise de réponse me mine le moral : j’ai trop de choses à leur demander, à dire, à comprendre et si peu de mots pour les exprimer, c’est si frustrant d’enfermer sa réflexion dans un champ lexical de 150 mots. Georges Orwell théorise la maîtrise du langage comme assujettissement de la pensée, m’en voilà prisonnier… J’aurai 4 mois pour améliorer mon Russe, et toute une vie pour regretter de ne pas l’avoir appris avant.
Le repas fini, un chapitre de l’axe du Loup à peine entamé que commence la descente, l’avion se fraye un chemin dans les turbulences qui nous tiennent compagnie. Parfois, les éclats de la ville percent à travers ce rideau grisâtre. Je suis déçu, car les nuages me privent du tableau de Saint-Pétersbourg, je le prends comme un défi à mon imagination qui rectifie les courbes du Golfe de Finlande. En être réduit à suggérer, terrible frustration qui me suivra un soir de plus. Finalement il me faudra attendre les dernières secondes pour y voir une photo imparfaite. Dans la nuit tombée j’ai du mal à voir la topologie de la ville, tout au plus j’y aperçois une autoroute dominant la mer Baltique. Enfin vient le moment de l’atterrissage, me voilà sur le sol Russe, dans un pays qui fait 32 fois la France. Sans surprise, et je rassure mes amis, je n’ai pas de tombes à fleurir à mon arrivée, direction l’immigration..
La file d’attente pour passer les contrôles est assez chaotique, nous sommes séparés en deux groupes : les ressortissants d’ex république soviétiques et les autres. J’ai le temps d’observer les différentes ethnies de touristes : une équipe de lutteurs Azerbaïdjanais me précède dans la queue. Derrière moi, des Chinois qui n’ont pas saisis l’interdiction de prendre des photos sont sévèrement réprimandés. J’aperçois aussi des Kazakh. Il y a très peu d’Européens en fait, la saison touristique semble bel et bien terminée.
Même si l’aéroport n’est pas le lieu idéal pour dresser des tendances ethniques, je rencontre pour la première fois certaines nationalités. En effet la Russie est un pays multiethniques où 80% de Slaves cohabitent avec de nombreuses minorités : Tatars, Tchétchène, Caucasien. Le terme « Fédération» est pertinent car les invasions tatares, « le far East », l’URSS ont fait cohabiter des communautés différentes(1). Comme en France, j’ai noté que ces « minorités » étaient sur représentées en banlieues, peut-être est-ce une conclusion hâtive ? Ou sont-ils réellement plus pauvres que les autres ?
La douane passée et deux tadjiks m’attendent, ils sont mandatés par l’école et m’emmènent au dortoir universitaire…. décidément les ressortissants d’ex-républiques soviétiques sont partout ! Dans le bus, je fais connaissance avec les babouchkas qui occupent de nombreux métiers : vendeuses de fleurs, de champignons, poissonneuses de billet. Elles sont assurément les taulières de la nation.
20 min plus tard et nous pénétrons dans le métro, le plus profond du monde (80 m). Je me rends aussi compte qu’il sera difficile ici de frauder, deux agents guettent en permanence chaque entrée. Construit dans les années 40, les ingénieurs ont réussis un tour de force majeur : assécher un marécage pour donner vie à l’homme taupe. Pour accéder aux rames, il faut utiliser un escalator qui descend pendant plusieurs minutes. Le temps est alors suspendu et les couples en profitent pour s’enlacer. Le tempérament rustique cède alors à la tendresse, derrière chaque roc il y a un cœur d’artichaut.
La réputation des stations métros Russes n’est pas usurpée : propres, soignées, elles justifient une visite touristique. J’attends tout de même d’aller à Moscou pour rendre compte de la mesure d’un métro qu’on dit mémorable. Seul le bruit strident des rails nous rappelle la vétusté des transports.
Une heure plus tard (qui me semble plus longue que mes 3h de vol) et me voilà dans la mythique banlieue Soviétique (arrêt Rybatskoye). J’ai tellement de sentiments contradictoires à son sujet qu’elle mériterait bien un article, plus de précisions donc dans le courant de la semaine!
(1) – En plus du caractère multiethnique, la Russie est également une fédération multiconfessionnel comme le montre l’inauguration de la grande mosquée d’Europe à Moscou la semaine dernière : http://french.peopledaily.com.cn/International/n/2015/0929/c31356-8956733.html
(2) – Lien photo : http://a54.idata.over-blog.com/5/75/17/58/P1110624.JPG
(3) – Lien photo : http://www.visit-saint-petersburg.ru/attachments/Image/im-c145-w954-049_DSC_9392__12801024_1.jpg?template=generic