Pour certains le football est l’opium du peuple. Cela ont peut-être raison mais ils éludent quelques peu l’importance qu’il a dans nos sociétés. Même si l’on peut ne pas aimer, on se doit de s’y intéresser à minima, car il nous en dit beaucoup sur nous. S’y détourner par principe, c’est se couper de certaines réalités du monde, aussi laides soit elles.

N’y voyez-vous pas dans ce rituel l’évocation d’une messe moderne ? Comme à l’église, il suffit pour un néophyte non pas de comprendre, mais de répéter les chants. Les joueurs sont vénérés tels des icônes, les supporters sont divisés puis se retrouvent pour la troisième mi-temps. Bref comme la religion, le football relie autant qu’il divise…

Il y a aussi autre chose qui nous plaît tant : le sport reproduit le schéma aristocratique en s’appuyant sur un postulat égalitariste. Avec sa logique de classement et d’excellence, il reconstitue l’ordre naturel, en même temps qu’il procure l’illusion de la méritocratie. Chacun agit selon une logique de l’honneur qui l’unit à l’autre. Le spectateur critique mais reste fidèle, il sait qu’il a besoin du joueur pour vibrer et inversement, quel intérêt de soulever des trophées si l’on n’a pas de peuple avec qui le fêter ?
Et comme à l’église, chacun procède par mimétisme, la foule s’extasie au rythme des passements de jambes, un kapo dicte le chant et les joueurs sont loués à la fin du match. Bref les stades sont des cathédrales modernes : ils pratiquent tous le même spectacle, mais dans une ambiance différente. En ce sens l’expérience du stade est intéressante, l’atmosphère est plus électrique à Nice qu’à Lorient, le football plus populaire à Lens qu’à Paris… comme si l’âme de chaque ville était un peu contenue dans une enceinte. Curieux n’est-ce pas ? Voyons donc voir ce que nous montre le stade Petrovski sur la ville de Saint-Pétersbourg. Je m’y suis rendus dans le cadre du match Zénith Saint-Pétersbourg – Lyon le 20 octobre dernier.

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Vue aérienne du stade Petrovski. Un nouveau stade doit être inaugurer pour la coupe du monde 2018.

Le football à l’Est souffre d’une mauvaise image, entre racisme et violence, il n’est pas vraiment recommandé de se rendre aux matchs. Alors qu’en France, les stades sont peu à peu nettoyés de leurs bases populaires, je me disais que la réputation était volontairement exagérée. Après tout, les instances pourraient pousser à la diabolisation pour faire pression sur la fédération russe.

Premier constat lors de notre arrivée, nous bénéficions bien d’une sécurité format ligue des champions : des centaines de policiers veillent au grain dès la sortie du métro. Cette police montre une volonté d’empêcher les débordements, et ce à 3 ans de la coupe du monde en Russie. Bien que des bouteilles de bières étaient distillés ici ou là, aucune mauvaise ambiance à signaler, pas vraiment de groupes supposés « skinheads » à l’entrée du stade non plus. Ce dernier est d’ailleurs idéalement placé, excentré de la ville il forme une petite île relié par des ponts. Symboliquement il rappel le rôle maritime de la ville.

Aucune consigne de sécurité ne nous a été prescrite par les policiers. Ils semblaient d’ailleurs plus intéressés par le match. Lorsque nous demandions de l’aide pour composter nos billets, un but survint au et ces derniers nous narguer sans vraiment nous aiguiller…

Après une valse entre les différents guichets (décidément la mauvaise organisation s’applique aussi dans les stades), nous pénétrons finalement dans l’enceinte Petrovski, et c’est un peu la déception de prime abord. Il ne fait que 22 000 places … pour une ville de 5 millions d’habitants c’est très peu. A titre de comparaison, le stade Louis 2 à une capacité de 19 000 sièges alors que Monaco est une ville de 30 000 habitants. On ne s’étonnera pas alors qu’il soit plein, même si le prix des places est assez prohibitif ( minimum 30€).

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Vue du stade. En face les ultras chantaient en cœur.

Nous faisons face à la tribune ultras, la couleur du club est le bleu azur. Passés les émotions des premières minutes, me reviennent à la mémoire les paroles d’un russe : pour lui depuis que Gazprom a racheté le club, il y a une volonté de « lisser » l’image pour la conformer aux standards Européens. Le club presque centenaire soutenue par des métallurgistes s’éclipse au profit d’une machine à gagner, vitrine d’une entreprise gourmande. Même phénomène qu’avec le Paris Saint-Germain ? Club vidé de sa substance par un double effet de levier avec, d’une part le nivellement des prix vers le haut, et d’autre part la dissolution des groupes de supporters vers le bas. Pas tout à fait, car au moins il reste des supporters organisés chantant et animant le stade. Pas de fumigènes ni de saluts nazis, des trompettes, des drapeaux et des tambours qui nous rappellent que le football est une fête familiale.

Finalement l’ambiance restera enfantine et ne décollera vraiment jamais. Seul l’égalisation des Lyonnais apporte un peu d’action. Les russes maudissaient alors les Français, à coup de « Ukraine, Mistral, Napoléon » heureusement pour nous, 2 joueurs du Zenith marqueront coup sur coup, scellant ainsi la victoire. Mon voisin Moscovite me réconforta alors : « il faisait trop froid pour vous, encore une fois. » Décidément, certains ont le culte du souvenir tenace.

Lorsque l’arbitre siffle la fin, nous sortons avec la satisfaction d’avoir vu un assez bon match de football. En ce qui concerne l’ambiance générale nous sommes plus mitigée : si nous n’avons pas vu de violences, l’ambiance ne nous a pas transporté comme espérer. Faute à la taille du stade ? Aux supporters trop assis et pas assez investis ? Aux prix des places ? Au contexte de ligue des champions qui imposent des normes réglementaire ? Au répertoire musical trop étroit? Je m’attendais à plus d’engagements, je n’y ai vu qu’une kermesse mouvementée d’un samedi après-midi…

Finalement le russe est bien un ours tranquille.  Il se lève lorsqu’il est menacé puis, ayant vaincu l’agresseur, se rassoit pour contempler son beau pays.

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Vue panoramique à la fin du match

Après ce match, je ne peux que reprocher à ce monde de tout standardiser, et aux gens de tout accepter. Cette partie, j’aurai presque pus la voir au parc des princes. Les stades se ressemblent de plus en plus, les grandes villes aussi, et ainsi va la marche du monde. J’impute cette responsabilité aux multinationales, pour qui le football n’est qu’un placement produit. Aujourd’hui, il n’est plus question de compter sur des clubs ouvriers, avec des actionnaires historiques et enracinés.

Reste à aller voir le hockey, sport le plus populaire et typiquement russe. Peut être y trouverais-je la satisfaction du dépaysement. Sinon quoi, il faudra se résilier à conclure sur cette ville.